vendredi 13 juillet 2018

Un premier texte long : "La clé de la nuit"

Je suis arrivé à Manawan au mois d'août 2002 et, l'année suivante, je suis devenu prof de français de secondaire 3.

À l'époque, j'étais exclusivement un auteur de nouvelles. Quelques publications dans XYZ, la revue de la nouvelle constituaient l'essentiel de ma bibliographie et je travaillais à temps très, très perdu à la composition d'un recueil, qui n'a toujours pas vu le jour, d'ailleurs. L'acclimatation à mon travail d'enseignant me demandait tout mon temps et mon intégration à la communauté était une priorité pour moi. De plus, j'attendais un premier fils, ce qui, pour le moins, obligeait une certaine remise en question de ma pratique et de mes ambitions.

Pour ainsi dire, je n'écrivais pas beaucoup.

Mais j'avais décidé de mettre mes compétences en littérature au coeur de mon enseignement. Je voulais faire lire et écrire mes élèves afin de leur permettre d'acquérir les compétences du programme de formation par un maximum de pratique. Or, j'ai rapidement réalisé que, pour la grande majorité de mes élèves, le livre était un objet étrange, voire étranger, qui les rebutait au possible. Le vocabulaire était rarement adapté et que dire des sujets qu'on leur proposait!

J'ai donc décidé de me mettre au travail et de bâtir un outil pédagogique progressif à l'aide duquel ils pourraient parfaire leurs compétences en lecture et s'approprier un vocabulaire pertinent : une histoire.

J'avais remarqué que certains de mes élèves s'adonnaient à des jeux de rôles et nous étions à l'époque de la trilogie filmée du Seigneur des anneaux. Comme tous les jeunes de la planète, ils étaient friands d'histoires de dragons et de magiciens, d'elfes et de chevaliers celtes.

J'étais un peu perplexe.

Alors, l'idée m'est venue d'écrire à mon tour un récit peuplé de créatures mythologiques. Mais, plutôt que de me nourrir du terreau celte, j'ai décidé de puiser à même le patrimoine tout américain qu'est celui des Atikamekw. Je me disais que de mettre en scène des créatures qui peuplent déjà leur imaginaire ne pourrait que les interpeller et que le lien culturel ainsi tissé me permettrait d'atteindre les objectifs tout pédagogiques que je m'étais fixés. J'ai donc décidé de ma mise en scène : un grand-père raconterait une histoire à ses petits-enfants. Et j'ai choisi mes armes : le roman d'aventure, un genre simple avec un récit linéaire et des personnages typés assez proches de ceux du conte où l'action et les déplacements dans l'espace sont priorisés. J'y voyais un intérêt pédagogique indéniable.

Je me suis donc mis au travail en donnant vie à des lutins, un monstre marin, des animaux dotés de parole... J'y ai mis ma touche de fantaisie. Mon but n'était pas de transmettre une part de culture. Non. Ce que je voulais, c'était simplement mettre à profit un matériau narratif sous-exploité et lui donner une nouvelle forme.

Rapidement, l'aspect didactique de ma démarche a agi comme un frein. j'ai eu du mal à suivre le souffle que mon écriture tentait d'imposer au texte.

Pour que le projet voie le jour, il a fallu que, un soir d'insomnie, je finisse par me dire : "Eille! t'as toujours voulu être écrivain, alors contente-toi d'écrire. Fais un livre!"

J'ai donc troqué mes véléités didactiques pour des ambitions "littéraires".

À ce moment de ma vie, je n'ambitionnais pas d'écrire pour la jeunesse. Loin de là. Je cultivais même un certain snobisme face à cette littérature (dont je refuse de parler au singulier aujourd'hui), que je considérais comme un art racoleur orienté vers un public bien précis, ce qui, à l'époque, était pour moi le contraire de l'art "pur", qui devait consister davantage en une exploration de soi et du monde.

J'y reviendrai.

Mon but était donc de me mettre à l'épreuve et, en un premier temps, de voir si j'étais capable de faire un texte plus long que les nouvelles de une à 10 pages que j'affectionnais et, ensuite, de le faire publier.

Une fois le manuscrit terminé (ce qui m'a pris environ deux ans), je me suis mis à la recherche d'un éditeur.

Mon premier envoi n'a essuyé que des refus, mais parmi eux, un message d'encouragement qui soulignait la qualité de mon travail et la tristesse dudit éditeur de ne pouvoir le publier à cause d'une contrainte éditoriale. C'est donc muni d'un certain enthousiasme que j'ai procédé à un deuxième envoi, au terme duquel j'ai reçu une lettre du directeur des Éditions de la paix de l'époque, qui commençait par ces mots : "Monsieur Poirier, j'ai lu votre manuscrit et je vous félicite..." Malheureusement, l'éditeur ne pouvait donner suite à mon projet, faute de temps et de moyens. En revanche, il me suggérait d'approcher les Éditions du soleil de minuit, ce que j'ai fait. Et en septembre 2008, au terme d'une longue attente et de beaucoup de travail, mon premier roman atterrissait sur les tablettes des librairies.

Bien qu'il ait été plutôt bien accueilli (il a fait partie de la Sélection de Communication-Jeunesse dès sa première année), je retiens surtout de ce qu'il m'a permis de mettre un pied dans le milieu du livre et de me mettre en contact avec Diane Groulx, l'éditrice des Éditions du soleil de minuit, maison d'édition à laquelle je suis encore fièrement associé à ce jour.

Sur la liste des choses à faire dans ma vie, je pouvais biffer "écrire un livre".

Dix ans plus tard, ce titre a toujours des ventes annuelles intéressantes. Il fait partie du corpus suggéré de lectures de plusieurs école amérindiennes, bref il vit et il vit plutôt bien et ça ne peut que me rendre heureux.

Si vous ne l'avez pas lu et que vous désirez le faire, vous pouvez le demander à la bibliothèque de votre école ou de votre quartier ou simplement le commander en ligne en cliquant ici.

N'hésitez pas non plus à commenter ce billet, il me fera plaisir d'échanger avec vous!

Petite anecdote sur ce titre :

Ce livre n'avait pas de titre pendant que je l'écrivais. Je lui en cherchais un, mais je ne trouvais pas. Soudain m'est venue une idée : demander à mes élèves!

Alors je leur ai fait le résumé de l'histoire et je leur ai demandé un mot atikamekw qui représentait la nuit. Nous avons pris quelques minutes et nous avons échangé des idées que je notais au tableau. Mais les suggestions revenaient souvent à des mots difficilement prononçables en français. J'ai finalement jeté mon dévolu sur "Otepiskak", qui signifie "la nuit dernière". Finalement, il a été rejeté, parce que pas suffisamment clair en français...

Ah! les lois de l'éditions!

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