mardi 10 janvier 2017

Sur le bout de la langue

Récemment, j'ai lu d'excellents livres, tous québécois, dont l'un de Sophie Bienvenu, une auteure d'origine belge.

Des livres aux récits prenants, à la narration forte et assumée, qui vous tordent les émotions et vous laissent (dans ce vous, vous pouvez lire moi!) en état de choc, bouche bée, bref, des livres qui ébranlent.

Vous désirez en connaître les titres? Les voici:

  1. Chercher Sam, de Sophie Bienvenue;
  2. Le plongeur, de Stéphane Larue;
  3. Les maisons, de Fanny Britt;
  4. Royal, de Jean-Philippe Baril Guérard.
Quatre livres que j'ai adorés, donc.

Ceux et celles qui lisent ce blogue avec assiduité comprendront que je ne désire pas nécessairement faire ici de la critique littéraire. Ce qui m'intéresse, c'est la réflexion sur le travail d'écriture. 

Or voilà. Un point relie ces quatre livres. Le point de jonction de ces excellents romans, c'est la langue. Et c'est là-dessus que j'aimerais réfléchir. Pour moi.

Dans chacun de ces livres, on trouve, à des degrés divers, une langue très actuelle, très vint-et-unième siècle, très blogue, très Montréal, très stuffée de mots anglais. J'imagine que c'est parce que c'est trendy, presque glamour. En tout cas, c'est clairement fashion.

Guess what? Dans les années 60 on a réinventé la langue au Québec et ç'a fait freaker un paquet de vieux creepy dans les collèges classiques. On s'affranchissait de l'élitisme old school et des Jesus freaks qui nous gouvernaient. On fait pareil aujourd'hui, dude!

Mais fait-on vraiment pareil aujourd'hui?

D'un point de vue social, clairement pas. Aujourd'hui, la place des francophones est acquise dans toutes les sphères et l'Église n'a plus de poids, presque plus, du moins. L'éducation est possible pour tous et, s'il reste des combats (et il en reste!), ce ne sont plus ceux des années 60, ça, c'est clair. Le joual, cette langue créolisée que le Québec a revendiquée et brandi comme un étendard, n'est plus l'arme d'affirmation qu'il a jadis été. 

En 60, c'était politique. Aujourd'hui, ce ne l'est plus.

Le franglais employé dans la littérature me gêne. Et c'est bien personnel. J'ai du mal à voir autre chose qu'un appauvrissement de la langue dans ce dialecte. 

En revanche, il n'empêche en rien de composer d'excellents livres, les quatre cités plus haut en témoignent.

Je sais que mon jugement, ici, en est un de valeur et que les auteurs nommés dans ce billet pourraient sans difficulté défendre leur posture ou leurs choix et me dégommer du haut de leur stature, bien plus grande que la mienne, il va sans dire. Et c'est tant mieux. Je ne voudrais pas leur imposer les miens, mes choix. 

De plus, dans une narration à la première personne (c'est le cas dans trois de livres dont il est question ici), il est normal, voire souhaitable de se rapprocher du narrateur, d'adopter son point de vue, d'expérimenter ses émotions, de parler sa langue, peu en importe le niveau, ce que nombre d'auteurs géniaux (Gary et même Molière pour ne nommer qu'eux!) ont réussi à faire avec maîtrise et succès. Celui ou celle qui souhaite une langue qui colle a la réalité a le devoir de calquer ce qui s'entend dans la rue (et dans Larue!). Et dans les rues de Montréal, on en entend, du franglais et des tournures atypiques. 

C'est un matériau.

Mais un matériau qui, bien que tout à fait justifiable, m'agace. Et je me demande pourquoi.

Peut-être est-ce le relent d'une enfance dans les années 70 et 80 (période au cours de laquelle les auteurs auxquels je me réfère n'étaient pas encore nés) passée à entendre les anglophones dédaigner la langue de mes parents qui m'influence. Il y a sans doute de ça. Il y a aussi l'amour que j'ai pour le français, ça, c'est certain. Mais il y a également quelque chose dans ma propre posture qui se heurte à celle de ces auteurs, je crois. 

Je n'éprouve pas ce besoin de coller au réel, du moins pas dans le choix de la langue. Je préfère de loin la musicalité des mots, la rythmique de la ponctuation et la force des images à celle du monde qui m'entoure (ici aussi, je pourrais non sans raison me faire remettre à ma place, si tant est que j'aie essayé d'en sortir, et j'accepte tout à fait qu'on objecte que tout ça est possible peu importe l'origine des mots choisis, et je rappelle que je suis en réflexion, pas à l'emploi de l'OLF ou de quelque ministère). 

Finalement, la langue, arme de libération des années 60 serait-elle rangée, tombée en désuétude? En 2017, ne serait-elle ni plus ni moins qu'un matériau, un médium d'expression artistique? Si c'est le cas, malgré mon agacement tout personnel, je pense que c'est tant mieux. En autant que ça donne des fucking bons livres, dude!

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