mardi 15 septembre 2015

Écrire... pour son public?

Je t'aime, lecteur, avant toute chose, il faut que tu le saches. Sauf que notre relation n'est pas si simple...

Il est vrai que sans la présence des lecteurs, les histoires n'existent pas. Il n'y a que des livres muets et inutiles. Il est vrai que connaître le public à qui on destine les oeuvres est fondamental d'un point de vue éditorial et, surtout, commercial.

Mais à partir de quel moment, dans le processus de création, doit-on en prendre conscience? À quelle étape doit-on s'adresser à lui? J'oserais même : doit-on s'en préoccuper lorsqu'on écrit?

Je ne sais pas.

En fait, oui, je sais.

On peut écrire pour la jeunesse. On peut écrire à tante Michèle. On peut écrire.


Il se trouve que mes livres sont édités dans des collections destinés aux lecteurs adolescents. Il se trouve également que mes textes contiennent des personnages enfants. Mais également des vieux. Il semblerait en effet que je m'intéresse aux deux pôles de l'existence : l'enfance et la vieillesse. Je trouve qu'il y a quelque chose d'intéressant à observer les liens qui se tissent et se tendent entre les deux et que c'est là que survient le texte. On pourrait presque y lire une métaphore où il en irait de l'enseignement du vieux au jeune comme du message du narrateur au lecteur, bref, comme une mise en abyme du processus de lecture littéraire où le personnage enfant-récepteur jouerait le rôle d'un lecteur à l'intérieur même de l'histoire...

Il serait peut-être intéressant que je revienne sur ce point un jour.

Mais pas aujourd'hui.

Ce que je veux illustrer, c'est qu'il est difficile, pour moi, de me qualifier comme un auteur pour la jeunesse. Ou mieux, il m'est impossible de déterminer pour qui exactement j'écris. Il existe un problème réel à déterminer à qui est destinée une oeuvre en cours de rédaction. En fait, pour moi, cette question ne se pose pas. J'ai la conviction qu'il existe une différence fondamentale entre l'écriture littéraire et les autres formes de communication.

Lorsqu'on écrit un courriel, une lettre ouverte, un mot dans une carte de souhaits, il va de soi qu'on a la conscience de la personne ou du groupe auquel on s'adresse. Il y a une transmission directe du message entre le scripteur et son destinataire. Chère tante Michèle devient alors une formule adéquate pour s'adresse à cette tante qu'on aime et qu'on désire saluer.

Or, il appert que, dans l'écriture littéraire, la communication suit une toute autre voie. La formule qui me semble le mieux résumer la situation est la suivante : on écrit le livre qu'on veut lire. C'est simple et complexe à la fois. Cette posture place le scripteur dans la position du lecteur. Pour faire image, on pourrait dire que, plutôt que de tirer un trait direct entre l'énonciateur et le destinataire, écrire de la littérature reviendrait à tracer une boucle entre soi et soi, ce qui place l'auteur dans la double position de destinateur et de destinataire.

Étrange, n'est-ce pas?

Et pourtant c'est vrai.

Voilà peut-être pourquoi j'éprouve toujours des difficultés, lors des salons, à répondre à la question "à qui ça s'adresse?" Ma réponse est toujours la même : c'est édité pour la jeunesse.

Un jour, en discutant avec mon éditrice à propos d'un livre en chantier, la question est venue sur le tapis. Je lui faisais part de certaines craintes au sujet de dérives possibles du récit et elle m'a demandé si mon "public cible" avait changé.

La question m'a mis mal à l'aise. J'ai réalisé que jamais dans le processus j'avais abordé la question sous cet angle. 

Cibler le public?

Je dois nuancer mon propos ici. 

Il est faux de dire que jamais je ne considère le public auquel je destine un livre. Je le fais, mais simplement au moment où j'échafaude le plan (très souple et sujet aux changements!) et l'univers dans lequel l'histoire se déroulera. Mais une fois le chantier lancé, mon unique préoccupation est de m'approcher le plus possible ce que j'ai décidé que le texte sera. 

Et puis, le texte appelant le texte, les mots s'imposent. Des tournures, un ton, des images récurrentes font leur nid et donnent à mon univers une organisation intrinsèques qui n'existe et n'est comprises que par moi. Enfin, a priori par moi. Des pistes, un système de codes qui me plaît à moi et dont je me dis que, à la lecture, j'aurais aimé en découvrir la clé. 

Mais le lecteur?

Et le public dans tout ça?

Je ne sais pas. 

Une oeuvre doit trouver sa force par l'amalgame des éléments qui la composent. Comme la brique. Comme le ciment. Et une oeuvre forte trouvera son public. Du moins, c'est ce que je me dis...

Au sujet du même livre en chantier, une lectrice complice m'a demandé une fois de plus à qui s'adressait le texte. Une fois encore, malaise. Je n'ai pas su quoi répondre. Je lui ai répondu, selon ma conviction : "imagine qu'il s'adresse à toi et dis-moi comment tu l'as trouvé". 

Ce qu'elle m'a répondu m'a plu. 

Alors, j'imagine que, à mon niveau, le texte est réussi.

Mais le public cible?

Ce sera à l'éditrice de trancher. Après tout, la mise en marché est de son ressort. Moi, j'écris le livre que j'aimerais lire. Simplement. Et une fois dans la fausse aux lecteurs, le public décidera de son avenir.


mardi 1 septembre 2015

Le travail du funambule

Écrire de la narration, c'est produire une histoire, bien sûr. Mais ce n'est pas simplement ça.

Je m'explique.

Je travaille à un roman qu'on m'a commandé (dans des mots si élogieux qu'ils m'ont fait succomber!) sur un thème des plus difficiles à traiter (le roman étant en chantier et le sujet d'actualité, je me permettrai de ne pas le préciser, vous m'en excuserez). Il s'agit d'un sujet délicat pour lequel il serait facile de tomber dans le sensationnalisme, panneau où d'autres auteurs sont déjà tombés (peut-être en suis-je!), d'ailleurs. Or, le sensationnalisme nourrit les clichés et je déteste les clichés; je préfère de loin les nuances. 

Je l'ai dit et je le répète, le sujet qui m'intéresse dans l'écriture, c'est l'être humain. Je n'écris pas simplement pour divertir, je le fais pour vivre et faire vivre une expérience humaine. Et je ne vis pas dans l'aveuglement de la bonté des Hommes ni dans la croyance de leur méchanceté. Le manichéisme, très peu pour moi. Je vois de l'humanité même dans les pires injustices et il y a de la crasse partout où il y a de l'hommerie, j'en suis bien conscient. Nous sommes capables, en tant qu'espèce, du meilleur comme du pire, notre planète se charge bien de nous le rappeler.

Mais comment montrer l'humanité du bourreau sans pour autant en faire l'apologie? Ou mieux encore: comment le faire sans excuser le geste, l'exaction commise?

Voilà tout le travail qui me préoccupe en ce moment. 

Dans mon histoire, les bourreaux ont le sourire. Mes gentils ont leurs torts. Tous  font des victimes à cause d'une situation que ni les uns ni les autres ne contrôlent. Des méchants de bonne foi, des gentils qui trahissent par naïveté ou par sens du devoir... Il me faut marcher sur un fil tendu et, à la manière du funambule, ne fléchir ni d'un côté ni de l'autre.

La difficulté est grande. Je suis sans cesse confronté au choix des mots et de l'angle à prendre pour traiter des situations que je mets en scène. C'est sans aucun doute ce que je préfère dans mon travail, mais c'est également son aspect le plus éreintant. Trouver l'angle d'attaque, produire l'effet escompté en mesurant les silences, en ajustant la longueur d'une phrase, en produisant des images. Ça ralentit le rythme de rédaction, ça augmente l'angoisse liée à l'écriture, ça force l'empathie, ça ébranle et ça demande qu'on se maintienne en équilibre sur le fil narratif qu'on a pris soin de tendre entre le sujet et le lecteur.

Pas facile! D'autant plus que je me suis donné un échéancier serré que je peine à respecter...

Me voici aux deux tiers du parcours et je chancelle. Je ne sais plus par où prendre mon histoire, comment garder l'équilibre. Je regrette même d'avoir amorcé ce projet imprévu. Je sais que je vais le mener à terme, ce livre. Je sais que j'en serai fort probablement assez fier. Mais je traverse cette phase de doute qui exige de prendre une pause. De réfléchir un peu à la démarche. De mettre des mots sur mes angoisses. Retrouver le moyen d'entrer de nouveau en phase avec mon univers narratif, étape nécessaire à la poursuite de l'avancée. Voilà où j'en suis.

Mais bon. L'éditrice est contente, c'est ce qui compte. Le spectacle est bon et, peu importe si le funambule se rompt le cou, le livre finira par paraître.