vendredi 27 juillet 2018

Redonner : La malédiction de Carcajou

Après la sortie de L'envol du pygargue, je me suis permis une pause d'écriture, puis je me suis essayé à différents projets pour adulte que j'ai fini par abandonner.

L'écriture est faite de tâtonnement.

Écoutant le conseil d'André Carpentier (il faut éviter de se répéter!), j'avais décidé de ne plus écrire sur les Amérindiens. Je ne voulais pas être associé à une thématique unique.

J'enseignais toujours à Manawan et j'étais impliqué dans la coordination du plan de réussite de l'école. C'est au cours des discussions sur la littératie et la place donnée à la culture atikamekw dans les programmes d'enseignement que m'est venue l'idée de publier une légende.

Il faut dire que le texte du Carcajou, je l'enseignais à mes élèves depuis quelques années. Et chaque fois, j'étais surpris de voir comment la vaste majorité d'entre eux (pour ne pas dire la totalité!) n'en avaient jamais entendu parler. Comment se faisait-il que moi, prof de français de secondaire 3, je connaissais ce texte et pas eux? Cette histoire, pourtant, avait été colligée en 1928 auprès des Atikamekw de Manawan-même! Elle était donc issue de la culture de ces adolescents, mais avait été oubliée par la plupart des aînés, qui ne la racontaient plus.

Il faut dire que le texte avait été rédigé seulement dans sa version traduite : en français. Seuls ceux qui en connaissaient l'existence y avaient accès.

Toujours par souci de littératie et de passage de culture, je me suis questionné sur l'origine des histoires que les parents lisaient à leurs enfants le soir, au moment du coucher et j'ai eu un choc : rien ne provenait de leur propre terreau culturel! Pire, rien n'existait dans leur langue! Pas étonnant que la lecture soit perçue comme une activité étrangère!

J'ai alors songé qu'une des solutions à ces deux problèmes était l'édition d'un nombre suffisant d'albums illustrés dans la langue d'origine de cette nation autochtone.

Il y avait moyen de remédier à ça.

Je me suis donc empressé de rédiger une version au goût du jour de la version écrite d'origine du conte et j'ai trouvé un traducteur ainsi qu'un illustrateur. Je savais que les Éditions du soleil de minuit publiaient leurs albums en version bilingue; le texte pourrait en conséquence être lu en atikamekw et, du même coup, être réappris par la nation qui en était à l'origine!

C'est ainsi que ce livre a vu le jour. J'ai hésité longuement avant de mettre mon nom sur la couverture, mais on m'a convaincu de le faire, pour des raisons commerciales.

Aujourd'hui, le texte est enseigné dans les école primaires atikamekw et, pour les enfants de Manawan, je suis devenu une sorte de vedette. C'est drôle, il s m'interpellent comme un des leurs et me comblent de compliments. Je suis, pour eux, une sorte de Justin Bieber des livres!

Anecdote sur le titre:

L'utilisation de l'article "de" plutôt que "du" vise à rappeler que, dans la tradition autochtone, les animaux et les humains ont la même origine. Les animaux ont tous déjà été des êtres humains. Carcajou est donc le nom du personnage humain et non celui de l'animal.

Si ce livre vous intéresse, vous pouvez vous le procurer en cliquant ici.

mardi 17 juillet 2018

"L'envol du pygargue" : un premier livre totalement assumé

J'avais donc écrit ce premier roman, "La clé de la nuit". Mais j'étais demeuré sur ma faim.

Il faut dire que, lors de mes études, j'avais acquis certaines convictions sur la pratique de l'écriture littéraire, qui vont bien au-delà du simple fait que d'écrire une histoire divertissante. Et mon premier titre me semblait à des lieues de mon idéal.

Il faut dire que je ne m'étais jamais imaginé auteur de romans d'aventure, ni même auteur pour la jeunesse!

Le livre avait été plutôt bien reçu, c'était vrai, mais je le sentais loin de moi. J'avais l'impression de ne pas m'y être investi suffisamment. Or, je suis d'avis encore aujourd'hui, que c'est dans l'investissement personnel de l'auteur que se trouve l'authenticité d'un livre. De plus, j'avais voulu donner vie à un imaginaire issu des Atikamekw en m'inspirant de la forme traditionnelle de leurs contes et de certaines des créatures qui les peuplent. Mais j'avais l'impression de n'avoir rien dit sur eux (l'un des rôles de l'auteur n'est-il pas de donner un point de vue sur le réel?). J'avais passé près de six ans à Manawan, j'y avais développé des amitiés et fait des rencontres surprenantes. Bref, j'avais la conviction de pouvoir faire mieux et, surtout, celle d'avoir beaucoup plus à dire.

Mon arrivée à Manawan avait coïncidé avec un grand mouvement de retour à la culture ancestrale, qui s'était amorcé quelques années plus tôt, du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre. Le groupe de chanteurs Black Bears en était à sa première année, le Pow-Wow n'existait pas encore. Mais le mode de pensée traditionnel circulait librement. Bref, on sentait l'ébullition d'une forme de Révolution tranquille à la sauce autochtone. Je me sentais privilégié d'assister à une forme de renaissance populaire. Mais en même temps, je ne pouvais m'empêcher de me demander quels étaient les avantages et les limites de ce mode de pensé fort différent de la pensée linéaire et factuelle qui domine en Occident. 

Il y avait là matière à réflexion et, surtout, à exploration.

Je me suis donc mis à réfléchir à comment je pourrais faire un véritable premier roman à mon image. Un récit qui me permettrait de faire la paix avec ma vision de la littérature.

Puis, une série d'événements personnels purement anecdotiques sur lesquels je ne m'attarderai pas (j'ai un penchant pour la pudeur...) ont fait que je me suis retrouvé en arrêt de travail. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, les épreuves semblent un moment privilégié pour faire le point se recentrer sur ce que la vie a d'essentiel.

C'est donc ce que j'ai décidé de faire : écrire.

Mais il me fallait un projet : c'est là que l'idée de "L'envol du pygargue" a surgi.

Comme La clé de la nuit ne m'avait pas satisfait, j'ai décidé de revisiter le même univers, mais avec un angle différent. Au lieu de mettre en action les personnages tirés d'une légende (imaginée par moi) qu'un grand-père racontait à ses petits enfants, j'ai décidé de retourner la chaussette et de mettre en scène les mêmes petits-enfants et le même grand-père, mais cette fois, dans leur vie de tous les jours et d'explorer, par leur entremise, l'effet de leurs croyances sur leur quotidien.

Alors je me suis mis au travail. Et c'est là que la magie a véritablement opéré. En parlant d'eux, je me suis aperçu que je parlais de moi. Et que tout dans ce livre se transformait lentement en allégorie de ma propre reconstruction. J'utilisais des légendes et je les interprétais à ma sauce, elles résonnaient en moi, je me voyais en elles. Je vivais, par l'écriture, un échange culturel profond, une sorte de prise de conscience spirituelle de mon propre rapport au monde et aux êtres (n'allez lire rien de transcendantal dans les lignes qui précèdent, je demeure une athée convaincu et très platement immanent).

J'ai écrit ce livre en trois mois environ. Le soir-même où je l'ai terminé, j'ai fait imprimer le texte et l'ai relu d'une traite. À la fin de ma lecture, je l'ai déposé sur ma table avec la conviction que je venais d'écrire quelque chose de bon. De vrai. D'éminemment authentique.

Je me sentais l'écrivain que je désirais être.

J'étais fier. Pour la première fois depuis de longs mois.

Je n'ai pas hésité une minute et je l'ai envoyé aux Éditions du soleil de minuit. Il y a été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme. Malheureusement, ce roman que j'adore n'a pas trouvé le public qu'il méritait et c'est bien dommage.

Toutefois, deux ans après sa sortie, en 2011, il faisait la finale du prix Québec/Wallonie-Bruxelles de littérature pour la jeunesse. Pour la première fois, j'étais en lice pour un prix... international de surcroît!

Petite anecdote sur ce titre :

Au départ, ce roman initiatique s'intitulait "Le retour du pygargue". Mais quelques jours avant l'envoi à l'impression, j'ai reçu un courriel de la part de l'éditrice m'annonçant qu'un autre roman, avec le même titre et s'adressant au même groupe d'âge venait tout juste de paraître! Nous avons donc dû en modifier le titre.

Si ce livre vous intéresse, vous pouvez vous le procurer ici.


vendredi 13 juillet 2018

Un premier texte long : "La clé de la nuit"

Je suis arrivé à Manawan au mois d'août 2002 et, l'année suivante, je suis devenu prof de français de secondaire 3.

À l'époque, j'étais exclusivement un auteur de nouvelles. Quelques publications dans XYZ, la revue de la nouvelle constituaient l'essentiel de ma bibliographie et je travaillais à temps très, très perdu à la composition d'un recueil, qui n'a toujours pas vu le jour, d'ailleurs. L'acclimatation à mon travail d'enseignant me demandait tout mon temps et mon intégration à la communauté était une priorité pour moi. De plus, j'attendais un premier fils, ce qui, pour le moins, obligeait une certaine remise en question de ma pratique et de mes ambitions.

Pour ainsi dire, je n'écrivais pas beaucoup.

Mais j'avais décidé de mettre mes compétences en littérature au coeur de mon enseignement. Je voulais faire lire et écrire mes élèves afin de leur permettre d'acquérir les compétences du programme de formation par un maximum de pratique. Or, j'ai rapidement réalisé que, pour la grande majorité de mes élèves, le livre était un objet étrange, voire étranger, qui les rebutait au possible. Le vocabulaire était rarement adapté et que dire des sujets qu'on leur proposait!

J'ai donc décidé de me mettre au travail et de bâtir un outil pédagogique progressif à l'aide duquel ils pourraient parfaire leurs compétences en lecture et s'approprier un vocabulaire pertinent : une histoire.

J'avais remarqué que certains de mes élèves s'adonnaient à des jeux de rôles et nous étions à l'époque de la trilogie filmée du Seigneur des anneaux. Comme tous les jeunes de la planète, ils étaient friands d'histoires de dragons et de magiciens, d'elfes et de chevaliers celtes.

J'étais un peu perplexe.

Alors, l'idée m'est venue d'écrire à mon tour un récit peuplé de créatures mythologiques. Mais, plutôt que de me nourrir du terreau celte, j'ai décidé de puiser à même le patrimoine tout américain qu'est celui des Atikamekw. Je me disais que de mettre en scène des créatures qui peuplent déjà leur imaginaire ne pourrait que les interpeller et que le lien culturel ainsi tissé me permettrait d'atteindre les objectifs tout pédagogiques que je m'étais fixés. J'ai donc décidé de ma mise en scène : un grand-père raconterait une histoire à ses petits-enfants. Et j'ai choisi mes armes : le roman d'aventure, un genre simple avec un récit linéaire et des personnages typés assez proches de ceux du conte où l'action et les déplacements dans l'espace sont priorisés. J'y voyais un intérêt pédagogique indéniable.

Je me suis donc mis au travail en donnant vie à des lutins, un monstre marin, des animaux dotés de parole... J'y ai mis ma touche de fantaisie. Mon but n'était pas de transmettre une part de culture. Non. Ce que je voulais, c'était simplement mettre à profit un matériau narratif sous-exploité et lui donner une nouvelle forme.

Rapidement, l'aspect didactique de ma démarche a agi comme un frein. j'ai eu du mal à suivre le souffle que mon écriture tentait d'imposer au texte.

Pour que le projet voie le jour, il a fallu que, un soir d'insomnie, je finisse par me dire : "Eille! t'as toujours voulu être écrivain, alors contente-toi d'écrire. Fais un livre!"

J'ai donc troqué mes véléités didactiques pour des ambitions "littéraires".

À ce moment de ma vie, je n'ambitionnais pas d'écrire pour la jeunesse. Loin de là. Je cultivais même un certain snobisme face à cette littérature (dont je refuse de parler au singulier aujourd'hui), que je considérais comme un art racoleur orienté vers un public bien précis, ce qui, à l'époque, était pour moi le contraire de l'art "pur", qui devait consister davantage en une exploration de soi et du monde.

J'y reviendrai.

Mon but était donc de me mettre à l'épreuve et, en un premier temps, de voir si j'étais capable de faire un texte plus long que les nouvelles de une à 10 pages que j'affectionnais et, ensuite, de le faire publier.

Une fois le manuscrit terminé (ce qui m'a pris environ deux ans), je me suis mis à la recherche d'un éditeur.

Mon premier envoi n'a essuyé que des refus, mais parmi eux, un message d'encouragement qui soulignait la qualité de mon travail et la tristesse dudit éditeur de ne pouvoir le publier à cause d'une contrainte éditoriale. C'est donc muni d'un certain enthousiasme que j'ai procédé à un deuxième envoi, au terme duquel j'ai reçu une lettre du directeur des Éditions de la paix de l'époque, qui commençait par ces mots : "Monsieur Poirier, j'ai lu votre manuscrit et je vous félicite..." Malheureusement, l'éditeur ne pouvait donner suite à mon projet, faute de temps et de moyens. En revanche, il me suggérait d'approcher les Éditions du soleil de minuit, ce que j'ai fait. Et en septembre 2008, au terme d'une longue attente et de beaucoup de travail, mon premier roman atterrissait sur les tablettes des librairies.

Bien qu'il ait été plutôt bien accueilli (il a fait partie de la Sélection de Communication-Jeunesse dès sa première année), je retiens surtout de ce qu'il m'a permis de mettre un pied dans le milieu du livre et de me mettre en contact avec Diane Groulx, l'éditrice des Éditions du soleil de minuit, maison d'édition à laquelle je suis encore fièrement associé à ce jour.

Sur la liste des choses à faire dans ma vie, je pouvais biffer "écrire un livre".

Dix ans plus tard, ce titre a toujours des ventes annuelles intéressantes. Il fait partie du corpus suggéré de lectures de plusieurs école amérindiennes, bref il vit et il vit plutôt bien et ça ne peut que me rendre heureux.

Si vous ne l'avez pas lu et que vous désirez le faire, vous pouvez le demander à la bibliothèque de votre école ou de votre quartier ou simplement le commander en ligne en cliquant ici.

N'hésitez pas non plus à commenter ce billet, il me fera plaisir d'échanger avec vous!

Petite anecdote sur ce titre :

Ce livre n'avait pas de titre pendant que je l'écrivais. Je lui en cherchais un, mais je ne trouvais pas. Soudain m'est venue une idée : demander à mes élèves!

Alors je leur ai fait le résumé de l'histoire et je leur ai demandé un mot atikamekw qui représentait la nuit. Nous avons pris quelques minutes et nous avons échangé des idées que je notais au tableau. Mais les suggestions revenaient souvent à des mots difficilement prononçables en français. J'ai finalement jeté mon dévolu sur "Otepiskak", qui signifie "la nuit dernière". Finalement, il a été rejeté, parce que pas suffisamment clair en français...

Ah! les lois de l'éditions!

jeudi 5 juillet 2018

Je me questionne...

Toute la saga qui entoure l'annulation du spectacle Slav me préoccupe. En fait, je me questionne depuis la parution d'un article dans la presse sur la manifestation qui apparentait ce spectacle à du racisme de la part des créateurs. La raison invoquée étant que les responsables n'avaient pas la bonne couleur de peau et qu'ils n'avaient pas réservé une place assez grande à des artistes Noirs.

Je n'ai pas envie de tomber dans l'analyse de ce fait d'actualité ni de faire le procès des intentions de quiconque. Simplement, j'ai envie de réfléchir à moi et à ma propre posture artistique en regard à cette manifestation et ce qu'elle a éveillé en moi.

Tout d'abord, il faut que je fasse le point. Ensuite, je pourrai me positionner sur la question de l'appropriation culturelle.

Ce qui me constitue en tant que créateur

Lorsque j'étais à l'université, j'écrivais des nouvelles. J'étais aussi un militant actif, de plusieurs causes sociales et internationales. J'étais altermondialiste et je passais plus de temps à lire les actualités concernant des Autochtones du Brésil luttant pour la protection de leurs terres ancestrales ou sur les conditions des travailleurs en Asie que sur la politique Québécoise. J'avais plus de facilité à m'identifier aux indigents qu'aux petits bourgeois dont j'étais pourtant issu. En conséquence, et je pense que c'était normal, mes nouvelles mettaient en scène des laissés pour compte, des oubliés de notre société. Par choix, je refusais de nommer les lieux, j'imaginais laisser ce travail au lecteur. Toujours est-il que ma posture narrative était à mille lieues de ma réalité sociale et que je n'y voyais aucun inconvénient.

En 2002, j'ai obtenu un emploi de rêve : je suis devenu enseignant dans une communauté amérindienne isolée. D'un point de vue artistique et philosophique, mon but était de comprendre les Atikamekw de l'intérieur, de me gaver de leur mode de vie et de leur culture afin qu'elle trouve une place dans mon bagage culturel à moi. J'ai été curieux à leur égard. Et critique, il faut le dire. Mais je voulais comprendre ce que nous avions en commun malgré les différences. Je me suis frotté à eux, sans ménagement, mais en tout respect. Du moins j'ai essayé de le faire. De la part de mes élèves j'ai entendu qu'il faudrait tuer tous les Blancs, que les Blancs devraient retourner en Europe, que c'était la faute des Blancs s'il y avait eu les pensionnats, bref des accusations que je pouvais comprendre, mais que je refusais obstinément de subir.

Parce que, au fond, on ne corrige pas un crime contre l'humanité par un autre. Parce que, pour retourner en Europe, il fallait d'abord y être déjà allé. Parce que ma grand-mère, fille d'agriculteur née en 1910, n'avait en aucun cas pris part à quelque décision politique que ce soit. Le drame des pensionnats s'était joué sans qu'elle le sache.

Et j'ai bien pris soin de faire remarquer à mes élèves leur propre métissage. Et le mien. Ensemble, nous avons jeté des ponts les uns vers les autres.

Puis je suis retourné à l'écriture.

Le choix des sujets apparemment ethniques

Et j'ai décidé d'écrire, pour eux, un roman d'aventure à partir de personnages issus de leurs propres croyances. Je trouvais dommage de les voir lire des histoires de dragons et de chevaliers, qui sont des figures étrangères, je voulais un roman 100 % américain.

Était-ce de l'appropriation culturelle? Je ne sais pas.

Mais ce roman m'a laissé sur ma faim.

Puis j'ai souffert d'un épisode difficile. Pour redonner un sens à mon existence, je suis retourné à l'écriture. J'ai voulu faire d'une pierre deux coups. D'une part, j'avais l'impression de ne pas avoir dit ce que j'avais à dire sur les Amérindiens. D'autre part, j'avais besoin de me reconstruire. J'ai donc écrit un second livre. Encore une fois à partir de ce matériau issu d'une culture autre que la mienne, mais tout aussi constituant de ce que j'étais en train de devenir.

Et je suis vraiment très fier de ce livre. Parce que, au-delà du fait qu'il se situe dans un univers autochtone et qu'il décrive la réalité d'une réserve amérindienne, il parle de moi et de ma propre reconstruction. En parlant d'eux, je parlais de moi. Est-ce de l'appropriation culturelle? Je ne sais toujours pas. J'y reviendrai.

Une série de rencontres et de recherches (en plus de mon goût pour la chose internationale) m'ont amené à vouloir écrire sur la résilience. J'ai donc écrit Qu'est-ce qui fait courir Mamadi? en me questionnant sur ce qui fait que certains se trouvent des excuses pour se complaire dans leur misère tandis que d'autres semblent pouvoir se remettre de toute épreuve. La figure du migrant s'est imposée dans mon esprit et j'ai décidé de l'explorer. Encore une fois, j'étais conscient que je touchais un point sensible, mais l'image était forte et belle. Je me suis questionné à savoir pourquoi j'écrivais. Je me suis demandé quelle était ma vision de la littérature et j'ai compris que, pour moi, il s'agit d'une exploration de l'humanité. Au-delà des couleurs et des cultures, elle sert à sonder ce que nous sommes en tant qu'espèce. Elle sert à révéler (ou à chercher) ce qu'il y a de commun en chacun de nous. Pour faire court, j'ai décidé d'assumer le texte jusqu'au bout.

Et l'histoire m'a donné raison de le faire.

Jusqu'à cette semaine.

Mais attendons.

On m'a commandé un roman sur les pensionnats amérindiens et j'ai refusé de le faire. Je trouvais le sujet trop difficile et, surtout trop cantonné dans une culture propre. Je reconnaissais le drame, j'en côtoyais les effets dévastateurs tous les jours. Mais je ne voyais pas comment l'aborder avec le doigté et la délicatesse qu'il méritait. Mais après un réflexion assez courte, mais très intense, j'ai décidé de le faire en explorant la relation père-fils dans l'absence. C'est donc cette question-là que j'ai mis au coeur de mon roman. Et le contexte, c'était celui des pensionnats.

Est-ce de l'appropriation culturelle?

Je ne me suis jamais posé la question avant cette semaine.

Ce n'est pas tout à fait vrai. Je me la suis posée, la question, mais pas sous cet angle.

Lors d'un gala de remise de prix littéraire où j'ai été finaliste, une des membres du jury qui avait jugé mon livre m'a fait part de ses réticences dues au fait que je n'étais pas Amérindien, mais que mon livre lui avait plu quand elle avait compris que j'avais passé beaucoup de temps sur une réserve.

J'ai reçu son commentaire comme une gifle. Ou comme un coup de poignard. Pourquoi? Simplement parce que ce livre n'aurait jamais vu le jour s'il s'était agi d'une histoire réduite aux pensionnats. Dans ma tête, avant même d'en avoir tapé le premier mot, ce livre-là ne parle que de la relation entre un père et son fils dans la distance et l'absence. Il est conçu et édifié à partir de mes propres craintes de père qui part toutes les semaine élever les enfants des autres et qui laisse ses fils à d'autres soins durant la majeure partie de leur enfance. Ce livre, c'est de ça qu'il parle et de rien d'autre, du moins dans ma tête!

Le dépôt du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation n'a servi que de prétexte pour que je l'écrive. La demande de l'éditeur n'a qu'allumé la mèche et fourni l'univers narratif permettant mon introspection.

Alors me faire dire que le fait de ne pas être Amérindien enlevait de la valeur à ma culpabilité de père absent...

Je vous laisse compléter ma pensée.

La question de l'appropriation  culturelle

Nous y sommes.

Je dois avouer candidement que ce concept m'apparaît flou et difficile à définir. Bref, j'ignore ce que ça veut dire, l'appropriation culturelle. Je ne sais pas où ça commence ni où ça finit. De la même manière que j'ai du mal à définir la culture québécoise, tant elle est métissée (le sirop d'érable, c'est amérindien; la gigue est irlandaise; la langue est française; mais le couscous que je mange plus souvent que le pâté chinois vient d'Afrique et mon jus d'orange de Floride; mon cinéma est trop souvent américain et les auteurs qui m'influencent sont dans plusieurs cas sud-américains; ma bière est de souche, mais d'inspiration belge), j'aurais du mal à tracer une ligne précise entre deux cultures sans me sentir réducteur.

C'est peut-être parce que je suis Blanc après tout...

Creuser la question de l'appropriation culturelle, il me semble, revient d'abord à définir ce qu'est la culture. Ensuite, il faudrait définir ce qu'est la propriété culturelle. Après on pourrait jaser.

Voici ce qu'en dit l'UNESCO:

Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels , matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »1. Ce « réservoir commun » évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en de multiples manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer en société2. 

C'est plutôt large et englobant, il faut l'avouer.

Mais j'aime bien la fin de la définition "Ce "réservoir commun" évolue dans le temps par et dans les formes des échanges".

Mais encore là, j'essaie de voir comme Elvis a vu le jour, comment le Gospel est né, comment s'est développé la langue créole et la culture canadienne-française... Dans certains cas, l'échange est un emprunt, dans d'autres, un don. Parfois, la réaction à ce qu'on s'est vu imposer. Bref, la forme des échanges semble pour le moins variable. Et bien souvent discutable.

Et peut-on revendiquer la propriété d'une culture? J'ai du mal à voir comment!

Surtout qu le concept même de propriété culturelle semble absent des Internet, sauf dans le champ juridique lié à la passation des oeuvres d'art.

Difficile, donc, de réclamer la propriété intangible de ce qui n'appartient à personne!

En revanche, on ne peut nier ce que des groupes ont fait et font subir à d'autres groupes. Les cas de l'esclavage en Amérique, des pensionnats autochtones et de l'Holocauste sont plus que probants. Mais est-ce pour autant raciste que d'en parler si on n'en a pas été? Leur compréhension est-elle hors de portée si on n'en a pas été?

Il y a, à mon sens, un piège ici. Un point de bascule où on risque de sombrer dans la ghettoïsation de la pensée et dans la réduction de ce qu'est la culture-même. Mais, encore une fois, je ne sais pas où me positionner ni même si je dois me positionner.

Et, surtout, je réalise qu'on tient ici un sujet de maîtrise ou de doctorat.

Les prochains projets

Depuis le début de ma carrière d'auteur, j'ai souvent utilisé des réalités autres que la mienne pour mettre en scène mes histoires. Si je me suis chaque fois questionné sur ce sujet, jamais je n'ai perçu que c'était mal ou que j'étais dans l'erreur de le faire.

Mes romans m'ont fait rencontrer des classes d'élèves de tous âges et je ne me suis défilé devant aucune de leurs questions. Jamais on m'a fait sentir que j'avais commis un impair.

En revanche, plusieurs des lecteurs de Qu'est-ce qui fait courir Mamadi? m'ont demandé d'écrire la suite ou de leur expliquer le sort d'une des personnages (si vous l'avez lu,vous saurez laquelle). Il m'a fallu plus de 5 ans et, enfin, j'ai trouvé comment répondre à leurs questions. Et je me suis mis au travail.

Puis il y a eu Slav.

Et j'ai douté. Beaucoup. J'ai pensé demander conseil à mon éditrice, qui attend le livre avec impatience.

Mais je me dis que parler d'enfance et de filles-mères, c'était universel. Peu importe le pays ou l'ethnie qui sert de décor.

Le lectorat l'attend.

Il est prêt pour ça.

Et moi aussi.