mercredi 30 mai 2018

Une quête de sens

À 17 ans, je désirais reprendre l'entreprise familiale. Je serais entrepreneur en électricité! Facile, il ne s'agirait que de suivre les traces du père!

Mais l'entreprise n'a pas survécu à une crise dans le bâtiment.

C'est dommage, la vie aurait tellement été plus simple!

Je me trouvais donc devant un vide face à mon avenir.

À la maison, on avait toujours mis l'accent sur les études, il allait donc de soi que je poursuive au cégep, puisque, c'était bien connu, il s'agissait du chemin menant à l'université et que, à la sortie de l'université, les employeurs se battaient pour s'arracher les diplômés!

On croyait ça à l'époque. Du moins, chez moi, on le croyait.

Je me suis donc retrouvé au cégep en quête d'avenir, mais surtout de sens à ma vie. Mes plans d'avenir de jeunesse envolés, je ne savais trop vers quoi me tourner.

J'ai erré de programme en programme, abandonné mes cours, si bien que je me suis retrouvé avec un dossier scolaire de beaucoup en deçà de la moyenne.

Puis, il y a eu la littérature.

Mes cours de littérature m'ont ouvert les yeux sur moi. J'ai découvert la force des textes et des mots qui les composent. J'ai décidé que c'est ce que je ferais : j'écrirais des livres.

Mais j'ignorais comment ce choix de carrière serait reçu dans ma famille. Chez nous, les carrières artistiques n'étaient pas vus comme des choix judicieux, voire valables. Et c'est compréhensible, nous vivons dans un monde où l'art est cantonné au rang du divertissement, pas des habitudes saines de vie. Mais je ne veux pas m'étendre sur ces idées ici. Toujours est-il que, un jour, le père d'une de mes amies a remarqué un jour que j'étais préoccupé et il m'a demandé pourquoi. Je lui ai confié mon désir de me consacrer aux Lettres et mes hésitations. Candidement, il a levé les mains et m'a dit : "t'as juste à le faire!" J'ai donc choisi, ce jour-là que je serais un littéraire.

Malgré mon dossier académique je suis allé rencontrer mon API pour lui faire part de mon intention d'aller étudier en lettres à l'université. Il était plus que sceptique. Il m'a suggérer 1001 programmes techniques, mais, devant mon insistance, il m'a inscrit en Arts et lettres en me disant que je devrais avoir d'excellents résultats et un bon coup de chance pour réaliser mon objectif.

À 20 ans, j'étais accepté à l'UQAM en Études littéraires. En 1995, j'ai découvert l'analyse littéraire. Analyser un texte, pour moi, c'était en révéler la profondeur et la richesse. J'étais bon, on me valorisait et j'y prenais du plaisir.

Mais je n'écrivais pas. Je lisais. Mais je lisais bien.

Puis est venue l'écriture.

Un premier cours de création, dispensé par André Vanasse, fondateur de la maison XYZ, m'a exigé mes premiers textes sérieux : des nouvelles littéraires.

Vanasse avait du métier, en tant qu'auteur, mais surtout, il était un éditeur de renom. Il était exigeant, à la limite de l'intransigeance et n'avait pas l'habitude d'appeler un chat un chien. Dès le premier cours, il nous a mis en garde : "Dites-vous bien une chose, ce n'est pas parce que vous avez écrit un texte qu'il est bon."

Cette phrase invitait à l'autocritique et, surtout, à l'humilité. Je l'ai prise et l'ai inscrite profondément dans mon cortex cérébral. Elle ne m'a jamais quitté.

Un peu plus tard, dans le même cours, un autre phrase prononcée de sa bouche: "Ne cherchez pas de bonnes idées, elles ont toutes été trouvées. Tout a été dit, mais pas par vous." Autre phrase que j'ai inscrite dans ma tête. L'originalité d'un texte ne se trouve pas dans le sujet ou dans le propos, mais bien dans la manière de dire. Une langue originale donne un texte original. Un angle original, donne une histoire intéressante. Il est là, le véritable travail de l'écrivain : trouver un angle et une manière de dire. Je m'accrocherais à ça.

Du cours de Vanasse, j'ai vu des étudiants sortir en pleurant. J'en ai entendu d'autres se plaindre de ses critiques acerbes. Moi, j'en ai retenu deux phrases et la certitude que ce que j'avais à dire pouvait avoir de la valeur, à condition que j'y mette les efforts.

Après le bac, je me suis inscrit en maîtrise. En création littéraire, devrais-je préciser.

J'ai eu du mal à m'adapter. Je ne me trouvais pas suffisamment bon ou cultivé pour rivaliser avec les autres étudiants qui, me semblait-il, avaient toujours des connaissances supérieures aux miennes. Et les profs (Louise Dupré, René Lapierre, Paul Chamberland, pour ne nommer qu'eux) me semblaient tellement connaissant, si formidablement intelligents que j'en étais intimidé et traînais avec moi le sentiment de ne jamais être à la hauteur. Bref, mon amour propre en prenait pour son rhume!

Je devais trouver un directeur ou une directrice de mémoire, quelqu'un qui saurait m'épauler dans mon projet de recherche. Mais j'ignorais encore quel en serait le sujet et j'ignorais vers qui me tourner. Or, j'avais une admiration étrange et une sorte de confiance envers la douceur paisible de Louise Dupré. J'ai donc pris rendez-vous avec elle pour lui demander de diriger mon mémoire.

J'ai oublié la date de ce rendez-vous, mais pas le jour.

En effet, ce matin-là, je m'étais réveillé avec la ferme intention d'abandonner mes études et de... bref, je ne connaissais absolument pas la suite, mais j'avais l'impression que ma vie n'avait plus de sens et que je ne faisais plus que perdre mon temps. Mais j'avais rendez-vous avec Louise. À chaque station de métro, je me demandais si je devais descendre et rentrer chez moi ou continuer mon chemin, à chaque occasion, je me rappelais mon rendez-vous avec Louise. Puis, arrivé à l'université, je me suis rendu à son bureau. Arrivé là, la porte était fermée. C'est ridicule, je sais, mais en voyant la porte close, j'ai décidé d'abandonner. J'ai tourné les talons et c'est là que j'ai entendu sa voix appeler mon  nom. Je ne sais trop par quelle magie elle avait reconnu ma présence, mais elle m'a invité dans son bureau. Elle a senti ma détresse et elle a trouvé les mots pour me rassurer. Elle ne pouvait pas diriger mon mémoire, mais elle a su me rassurer en nommant les qualités qu'elle me reconnaissait et qui étaient celles d'un auteur. J'étais à ma place. Surtout, elle a su me diriger vers des gens qui, à leur tour, m'ont orienté vers les bonnes personnes.

Si bien que j'ai atterri un matin dans le bureau d'André Carpentier avec un projet de roman. Il 'a lu et il m'a dit : "Je pense que nous pourrions travailler ensemble". Au fil de la discussion, nous avons parlé d'écriture, de littérature, puis de genres littéraires. À la fin de notre rencontre, il m'a suggéré d'écrire un recueil de nouvelles, puisque c'était là le seul genre littéraire que je maîtrisais un peu.

Je me suis donc attelé à mon premier projet d'écriture digne de ce nom. André Carpentier m'a donné l'occasion de publier mes premiers textes dans XYZ, la revue de la nouvelle. Pour la première fois, je me voyais un avenir. Mon talent était reconnu et avait une valeur! Et, en outre, à la fin de mon travail auprès de lui, il m'a fait le plus beau des cadeaux. Il m'a dit une phrase que j'entends encore dans ma tête : "Tu sais, Étienne, j'ai accompagné beaucoup d'étudiants et j'ai lu beaucoup de nouvelles, peut-être trop, même, si bien qu'il m'est arrivé de confondre les textes et les auteurs. Mais les tiennes, tes nouvelles, je ne les ai jamais confondues avec celles de personne."

Pour moi, c'était la consécration. Le plus beau compliment qu'on ne m'ait jamais fait.

Et il a ajouté un conseil, un de ceux qui ne s'oublie pas , un de plus que j'ai inscrit dans ma tête : "Le danger, c'est de te répéter." Ne pas écrire deux histoires pareilles, travailler les formes, puisqu'elles sont l'expression du contenu. Explorer. Toujours.

Je pouvais voler de mes propres ailes.

En somme, vous qui lirez ce billet, si vous êtes lecteurs de me livres, sachez que ma carrière, je la dois à ces trois personnes marquantes que je ne remercierai jamais assez : André Vanasse, Louise Dupré et André Carpentier. Biens sûr, il y a eu et il y aura d'autres influences. Mais, à ce jour, aucune n'a été aussi marquante que celle de ces trois professeurs que j'ai croisés et qui, peut-être sans le savoir, m'ont marqué au fer rouge de leur expérience, de leur sagesse et de leur humanité. Et le mot merci ne peut contenir à lui seul toute ma gratitude.

2 commentaires:

  1. Parfois, je regrette de ne pas avoir fait études littéraires. Je me dis que ça m'aurais donné une base plus solide. Et parfois, je me dis que le parcours m'aurais peut-être découragé à tout jamais d'écrire. Pour toutes les raisons que tu mentionnes. Bravo, donc, d'avoir persévéré! Et bravo pour avoir trouvé ta place!

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  2. Le gros avantage d'une formation en Études littéraires (je parle du volet création ici), c'est que ça nous éveille à tout un tas d'aspects de l'écriture auxquels on ne pense pas nécessairement. Mais le véritable talent, ça ne s'enseigne pas. À mon sens, ce qui fait un bon auteur (ou une bonne autrice!), c'est sa capacité d'empathie. Bien entendu, mon point vu n'est qu'un sur le nombre!

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