vendredi 8 février 2013

Atteindre le sommet sans tomber dans le vide


C'est, du moins je le crois, ce qui unit les alpinistes, les parachutistes, les bungeeistes et les artistes : la peur du vide qui se trouve entre le désir de l'accomplissement et la capacité réelle d'accomplir. Entre la vision et la réalisation, il y a, il faut bien l'admettre, un creux qui parfois donne le vertige.

J'ai, pour ma part, le sentiment de me tenir constamment au bord du précipice. 

Être alpiniste, j'imagine que je commencerais par l'Everest, quitte à y laisser ma peau. Il faut dire que je n'arrive que difficilement à me mettre au travail sans avoir la conviction d'écrire une oeuvre majeure. Écrire pour écrire, à quoi bon? J’ai essayé, je le regrette.

Dans la vision que j'ai de la littérature (et j'y inclus la littérature pour la jeunesse), une oeuvre doit surprendre, émouvoir, se poser comme une épreuve tranquille d'où l'auteur et le lecteur ne peuvent ressortir que transformés, grandis, à tout le moins changés. Je veux écrire des livres qui passeront à l’histoire, du moins à celle de ceux qui les liront, des livres qui s’adressent tant au cœur qu’à la tête. 

C'est la vision que j'ai de ma pratique d'écriture et de l'art que j'exerce.

Or, comme mentionné plus haut, cette posture n'a rien de confortable, bien au contraire. Confronté à la montagne, il doit bien se sentir tout petit, l'alpiniste! Mais c’est également là que réside l’exploit qu’il est en voie de réaliser. En jouit-il? J’ai la certitude qu’à chaque moment il ne le fait pas. Que les épreuves et les sacrifices qu’il s’impose durant la montée le font hésiter, se remettre en question, qu’à l’occasion il a envie de rebrousser chemin et que ce n’est qu’une fois la tâche accomplie qu’il se sent grand, content, satisfait à condition, bien sûr, d’avoir atteint le sommet. 

J'ai entendu, un jour, l'auteure québécoise Kim Thuy candidement parler de son expérience d'écriture, qu'elle qualifiait de jubilatoire. Elle disait à quelle point les mots la comblaient et combien l'acte d'écrire la remplissait de plaisir (a-t-elle parlé de jouissance?). Je n'ai jamais rien ressenti de tel. Non. De la satisfaction une fois le travail terminé, bien sûr! Mais de là à jouir de l'écriture, ça non!

Je dois avouer que son discours m'a rendu un peu jaloux, mais bon, ce n'est pas le sujet de ce billet. Je ne doute pas  de son intégrité ni de sa démarche ni de son talent, bien au contraire, je me suis délecté de . J’assume ma jalousie, j’aimerais aussi écrire en état de grâce plutôt qu’en état de déséquilibre.

On ne peut vivre dans l'angoisse constante, Laborit nous l'a bien enseigné, sauf que l'écart qui se creuse entre le vouloir dire et la capacité de le faire s'apparente souvent à une perte de prise dans le réel, à un vertige difficilement soutenable. Du moins, je le ressens de cette façon. Il y a une sorte d'abyme, un trou qui se creuse, où se loge la vision initiale de l'oeuvre en cours, et dont la langue ne peut rendre compte qu'en se tenant à la périphérie. 

N'est-ce pas d'ailleurs le propre des trous, de n'exister que par leur pourtour? 

Il y a une angoisse inhérente à viser un objectif évanescent, une cible qui se dérobe sans cesse. La question qui se pose devient alors celle de l’« à quoi bon? ». À quoi bon se donner tant de peine pour une visée inatteignable (l’histoire ne se dicte pas, elle rend ses verdicts après coup!)? À quoi bon s’imposer un cadre, des visées, des règles qui ne seront, au final, pas reconnues par la plupart des lecteurs? Bref, à quoi bon écrire? Peut-être est-ce ce qui se trouve au cœur de ma démarche : relever des défis esthétiques et humains qui sont condamnés à passer inaperçus, me lancer à la poursuite du vide?

Pourquoi tant de mal pour autant de futilités?

Il me semble que ça devient tout à coup évident : ce sont les défis et les difficultés qui font que l'exercice en vaut la peine. Et l'Histoire? Elle retiendra bien ce qu'elle veut, il suffit d'en parler à sir Edmund Hillary! 

3 commentaires:

  1. Est-ce que l'écriture est pour toi un besoin malsain?

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  2. Malsain, bien sûr que non, mais il s'agit bel et bien d'un besoin.

    La passion est quelque chose qui nous pousse, parfois malgré nous, à l'accomplissement. Le Christ était au courant de la souffrance qui l'attendait lorsqu'il a vécu la sienne et, pourtant, il l'a accomplie parce qu'il en sentait la nécessité. Il en va de même pour moi. Je connais les difficultés auxquelles je vais me frotter et c'est en repoussant les limites que ces difficultés m'imposent que je parviens, au final, à vivre de la satisfaction. En termes clairs, j'aime me donner des difficultés, malgré l'angoisse que ça fait naître durant le processus. Autrement, j'aurais l'impression de ne pas aller au bout de mes capacités.

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  3. Le vertige, je connais bien. Pas que je sois alpiniste ou parachutiste. Non, loin de là. Mais il arrive que je ressente le vertige pour oser faire quelque chose, oser parler à quelqu'un que je ne connais pas, oser faire ce que je ne fais pas souvent. C'est un sentiment qui me rend nerveuse, hésitante. Et pourtant, je n'ai pas le choix d'avancer, il faut que je le fasse, il faut que je passe par-dessus ce creux. C'est un combat intérieur à chaque fois. Lire ce blog m'a fait du bien, ça me donne un peu le courage d'oser.

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