mardi 25 septembre 2012

La malédiction de Carcajou en librairie cette semaine


Ça y est, le livre est prêt et sera sur les tablettes des libraires cette semaine. Pour moi, c’est la fin d’une longue attente et un moment de grande excitation. Le livre est splendide et magnifiquement illustré par Daniel Bélair (http://www.chateauguayexpress.ca/Culture/Festivals-et-evenements/2012-08-07/article-3034910/Un-touche-a-tout-des-arts/1). Un superbe objet.

Mais c’est tout de même un peu plus qu’une joie personnelle.

La sortie de ce livre est, cela va de soi, un accomplissement. Mais l’accomplissement réel, pour ma part, se trouve en dehors du texte. Comme je l’ai écrit plus tôt sur ce blogue, c’est d’abord Dollard Dubé qui a rédigé cette histoire au début des années 1930. On lui avait confié le mandat d'aller rencontrer des conteurs atikamekw et de colliger les histoires qu'ils se transmettaient depuis des générations. Avec l’arrivée massive de bûcherons et de colon dans la région, l’authenticité culturelle des premiers habitants du Haut-Saint-Maurice était menacée. Il fallait la faire passer de la parole à la lettre afin de la préserver. Ce fut fait et c’est ce qui permet à cette légende pleine d’humanité et riche en enseignements de revivre aujourd’hui.

L’origine de ce conte se perd donc dans des temps immémoriaux et nul ne peut en réclamer la paternité.

Mais le véritable accomplissement se trouve ailleurs. En effet, l’idée de réécrire cette histoire m’est venue au contact des jeunes Atikamekw avec qui j’ai travaillé au cours de mes 10 années passées à Manawan. Ces jeunes Amérindiens sont pleins de vie et de rêves à réaliser, comme le sont les jeunes de partout. Mais, à cheval entre une culture qui s’éveille et une autre qui se perd, ils sont déchirés. Dans l’école primaire où ils apprennent à lire, à écrire et à compter, on leur propose deux voies : l’une en français, l’autre dans leur langue maternelle. Dans le premier cas, les enfants apprennent à lire et à écrire à la manière des gens de la ville. Des livres, ils en ont, mais peu qui reflètent leur réalité. Peu qui soient réellement ancrés dans leurs valeurs et leur propre tradition culturelle. Ils lisent les contes de Charles Perrault et tout ce que leur fournit la littérature jeunesse. Ce qu’ils y gagnent en maîtrise du français, ils ne l’acquièrent pas en connaissance d’eux. Dans le second cas, des livres, ils n’en ont pas ou trop peu. Par défaut de lectures valables, ils accumulent des retards en lecture et en écriture, ce qui hypothèque leurs chances de succès dans leurs études subséquentes – heureusement, il se trouve bien quelques exemples pour contredire ce dernier point, mais, malgré ces quelques cas d’exception, le constat demeure. Savoir lire et écrire outrepasse la maîtrise d’une langue à l’oral et, cela a maintes fois été démontré, plus on maîtrise un code linguistique, plus le passage vers une autre langue est facile. Or voilà, la collection « album du crépuscule » des éditions du Soleil de minuit, dans laquelle est publiée La malédiction de Carcajou, propose des livres en deux langues. Grâce à la traduction de Jean-Paul Echaquan, le texte y est présent à la fois en français et en atikamekw. Dès lors, le livre se veut un outil permettant de combler le fossé culturel entre les deux cheminements scolaires que suivent les enfants de Manawan, d’Opitciwan et de Wemotaci. Bien plus encore, il permet d’ajouter sa pierre à l’édifice de la préservation des langues menacées comme l’est celle des Atikamekw – parce que, on le sait, des langues il en meurt plus qu’il n’en naît depuis un siècle. Espérons seulement que La malédiction de Carcajou permettra à l’atikamekw, une langue de chez nous faut-il le rappeler, d’éviter ce triste sort.

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