Ça y
est, le livre est prêt et sera sur les tablettes des libraires cette semaine.
Pour moi, c’est la fin d’une longue attente et un moment de grande excitation. Le
livre est splendide et magnifiquement illustré par Daniel Bélair (http://www.chateauguayexpress.ca/Culture/Festivals-et-evenements/2012-08-07/article-3034910/Un-touche-a-tout-des-arts/1).
Un superbe objet.
Mais
c’est tout de même un peu plus qu’une joie personnelle.
La
sortie de ce livre est, cela va de soi, un accomplissement. Mais l’accomplissement
réel, pour ma part, se trouve en dehors du texte. Comme je l’ai écrit plus tôt
sur ce blogue, c’est d’abord Dollard Dubé qui a rédigé cette histoire au début des années 1930. On lui avait confié
le mandat d'aller rencontrer des conteurs atikamekw et de colliger les
histoires qu'ils se transmettaient depuis des générations. Avec l’arrivée
massive de bûcherons et de colon dans la région, l’authenticité culturelle des
premiers habitants du Haut-Saint-Maurice était menacée. Il fallait la faire
passer de la parole à la lettre afin de la préserver. Ce fut fait et c’est
ce qui permet à cette légende pleine d’humanité et riche en enseignements de
revivre aujourd’hui.
L’origine de ce conte se perd donc
dans des temps immémoriaux et nul ne peut en réclamer la paternité.
Mais le véritable accomplissement se
trouve ailleurs. En effet, l’idée de réécrire cette histoire m’est venue au
contact des jeunes Atikamekw avec qui j’ai travaillé au cours de mes 10 années
passées à Manawan. Ces jeunes Amérindiens sont pleins de vie et de rêves à
réaliser, comme le sont les jeunes de partout. Mais, à cheval entre une culture
qui s’éveille et une autre qui se perd, ils sont déchirés. Dans l’école
primaire où ils apprennent à lire, à écrire et à compter, on leur propose deux
voies : l’une en français, l’autre dans leur langue maternelle. Dans le
premier cas, les enfants apprennent à lire et à écrire à la manière des gens de
la ville. Des livres, ils en ont, mais peu qui reflètent leur réalité. Peu qui
soient réellement ancrés dans leurs valeurs et leur propre tradition
culturelle. Ils lisent les contes de Charles Perrault et tout ce que leur
fournit la littérature jeunesse. Ce qu’ils y gagnent en maîtrise du français,
ils ne l’acquièrent pas en connaissance d’eux. Dans le second cas, des livres,
ils n’en ont pas ou trop peu. Par défaut de lectures valables, ils accumulent
des retards en lecture et en écriture, ce qui hypothèque leurs chances de succès
dans leurs études subséquentes – heureusement, il se trouve bien quelques
exemples pour contredire ce dernier point, mais, malgré ces quelques cas d’exception,
le constat demeure. Savoir lire et écrire outrepasse la maîtrise d’une langue à
l’oral et, cela a maintes fois été démontré, plus on maîtrise un code
linguistique, plus le passage vers une autre langue est facile. Or voilà, la
collection « album du crépuscule » des éditions du Soleil de minuit,
dans laquelle est publiée La malédiction de Carcajou, propose des livres
en deux langues. Grâce à la traduction de Jean-Paul Echaquan, le texte y est présent à la fois en français et en
atikamekw. Dès lors, le livre se veut un outil permettant de combler le fossé
culturel entre les deux cheminements scolaires que suivent les enfants de
Manawan, d’Opitciwan et de Wemotaci. Bien plus encore, il permet d’ajouter sa
pierre à l’édifice de la préservation des langues menacées comme l’est celle
des Atikamekw – parce que, on le sait, des langues il en meurt plus qu’il n’en naît
depuis un siècle. Espérons seulement que La malédiction de Carcajou
permettra à l’atikamekw, une langue de chez nous faut-il le rappeler, d’éviter
ce triste sort.