jeudi 5 juillet 2018

Je me questionne...

Toute la saga qui entoure l'annulation du spectacle Slav me préoccupe. En fait, je me questionne depuis la parution d'un article dans la presse sur la manifestation qui apparentait ce spectacle à du racisme de la part des créateurs. La raison invoquée étant que les responsables n'avaient pas la bonne couleur de peau et qu'ils n'avaient pas réservé une place assez grande à des artistes Noirs.

Je n'ai pas envie de tomber dans l'analyse de ce fait d'actualité ni de faire le procès des intentions de quiconque. Simplement, j'ai envie de réfléchir à moi et à ma propre posture artistique en regard à cette manifestation et ce qu'elle a éveillé en moi.

Tout d'abord, il faut que je fasse le point. Ensuite, je pourrai me positionner sur la question de l'appropriation culturelle.

Ce qui me constitue en tant que créateur

Lorsque j'étais à l'université, j'écrivais des nouvelles. J'étais aussi un militant actif, de plusieurs causes sociales et internationales. J'étais altermondialiste et je passais plus de temps à lire les actualités concernant des Autochtones du Brésil luttant pour la protection de leurs terres ancestrales ou sur les conditions des travailleurs en Asie que sur la politique Québécoise. J'avais plus de facilité à m'identifier aux indigents qu'aux petits bourgeois dont j'étais pourtant issu. En conséquence, et je pense que c'était normal, mes nouvelles mettaient en scène des laissés pour compte, des oubliés de notre société. Par choix, je refusais de nommer les lieux, j'imaginais laisser ce travail au lecteur. Toujours est-il que ma posture narrative était à mille lieues de ma réalité sociale et que je n'y voyais aucun inconvénient.

En 2002, j'ai obtenu un emploi de rêve : je suis devenu enseignant dans une communauté amérindienne isolée. D'un point de vue artistique et philosophique, mon but était de comprendre les Atikamekw de l'intérieur, de me gaver de leur mode de vie et de leur culture afin qu'elle trouve une place dans mon bagage culturel à moi. J'ai été curieux à leur égard. Et critique, il faut le dire. Mais je voulais comprendre ce que nous avions en commun malgré les différences. Je me suis frotté à eux, sans ménagement, mais en tout respect. Du moins j'ai essayé de le faire. De la part de mes élèves j'ai entendu qu'il faudrait tuer tous les Blancs, que les Blancs devraient retourner en Europe, que c'était la faute des Blancs s'il y avait eu les pensionnats, bref des accusations que je pouvais comprendre, mais que je refusais obstinément de subir.

Parce que, au fond, on ne corrige pas un crime contre l'humanité par un autre. Parce que, pour retourner en Europe, il fallait d'abord y être déjà allé. Parce que ma grand-mère, fille d'agriculteur née en 1910, n'avait en aucun cas pris part à quelque décision politique que ce soit. Le drame des pensionnats s'était joué sans qu'elle le sache.

Et j'ai bien pris soin de faire remarquer à mes élèves leur propre métissage. Et le mien. Ensemble, nous avons jeté des ponts les uns vers les autres.

Puis je suis retourné à l'écriture.

Le choix des sujets apparemment ethniques

Et j'ai décidé d'écrire, pour eux, un roman d'aventure à partir de personnages issus de leurs propres croyances. Je trouvais dommage de les voir lire des histoires de dragons et de chevaliers, qui sont des figures étrangères, je voulais un roman 100 % américain.

Était-ce de l'appropriation culturelle? Je ne sais pas.

Mais ce roman m'a laissé sur ma faim.

Puis j'ai souffert d'un épisode difficile. Pour redonner un sens à mon existence, je suis retourné à l'écriture. J'ai voulu faire d'une pierre deux coups. D'une part, j'avais l'impression de ne pas avoir dit ce que j'avais à dire sur les Amérindiens. D'autre part, j'avais besoin de me reconstruire. J'ai donc écrit un second livre. Encore une fois à partir de ce matériau issu d'une culture autre que la mienne, mais tout aussi constituant de ce que j'étais en train de devenir.

Et je suis vraiment très fier de ce livre. Parce que, au-delà du fait qu'il se situe dans un univers autochtone et qu'il décrive la réalité d'une réserve amérindienne, il parle de moi et de ma propre reconstruction. En parlant d'eux, je parlais de moi. Est-ce de l'appropriation culturelle? Je ne sais toujours pas. J'y reviendrai.

Une série de rencontres et de recherches (en plus de mon goût pour la chose internationale) m'ont amené à vouloir écrire sur la résilience. J'ai donc écrit Qu'est-ce qui fait courir Mamadi? en me questionnant sur ce qui fait que certains se trouvent des excuses pour se complaire dans leur misère tandis que d'autres semblent pouvoir se remettre de toute épreuve. La figure du migrant s'est imposée dans mon esprit et j'ai décidé de l'explorer. Encore une fois, j'étais conscient que je touchais un point sensible, mais l'image était forte et belle. Je me suis questionné à savoir pourquoi j'écrivais. Je me suis demandé quelle était ma vision de la littérature et j'ai compris que, pour moi, il s'agit d'une exploration de l'humanité. Au-delà des couleurs et des cultures, elle sert à sonder ce que nous sommes en tant qu'espèce. Elle sert à révéler (ou à chercher) ce qu'il y a de commun en chacun de nous. Pour faire court, j'ai décidé d'assumer le texte jusqu'au bout.

Et l'histoire m'a donné raison de le faire.

Jusqu'à cette semaine.

Mais attendons.

On m'a commandé un roman sur les pensionnats amérindiens et j'ai refusé de le faire. Je trouvais le sujet trop difficile et, surtout trop cantonné dans une culture propre. Je reconnaissais le drame, j'en côtoyais les effets dévastateurs tous les jours. Mais je ne voyais pas comment l'aborder avec le doigté et la délicatesse qu'il méritait. Mais après un réflexion assez courte, mais très intense, j'ai décidé de le faire en explorant la relation père-fils dans l'absence. C'est donc cette question-là que j'ai mis au coeur de mon roman. Et le contexte, c'était celui des pensionnats.

Est-ce de l'appropriation culturelle?

Je ne me suis jamais posé la question avant cette semaine.

Ce n'est pas tout à fait vrai. Je me la suis posée, la question, mais pas sous cet angle.

Lors d'un gala de remise de prix littéraire où j'ai été finaliste, une des membres du jury qui avait jugé mon livre m'a fait part de ses réticences dues au fait que je n'étais pas Amérindien, mais que mon livre lui avait plu quand elle avait compris que j'avais passé beaucoup de temps sur une réserve.

J'ai reçu son commentaire comme une gifle. Ou comme un coup de poignard. Pourquoi? Simplement parce que ce livre n'aurait jamais vu le jour s'il s'était agi d'une histoire réduite aux pensionnats. Dans ma tête, avant même d'en avoir tapé le premier mot, ce livre-là ne parle que de la relation entre un père et son fils dans la distance et l'absence. Il est conçu et édifié à partir de mes propres craintes de père qui part toutes les semaine élever les enfants des autres et qui laisse ses fils à d'autres soins durant la majeure partie de leur enfance. Ce livre, c'est de ça qu'il parle et de rien d'autre, du moins dans ma tête!

Le dépôt du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation n'a servi que de prétexte pour que je l'écrive. La demande de l'éditeur n'a qu'allumé la mèche et fourni l'univers narratif permettant mon introspection.

Alors me faire dire que le fait de ne pas être Amérindien enlevait de la valeur à ma culpabilité de père absent...

Je vous laisse compléter ma pensée.

La question de l'appropriation  culturelle

Nous y sommes.

Je dois avouer candidement que ce concept m'apparaît flou et difficile à définir. Bref, j'ignore ce que ça veut dire, l'appropriation culturelle. Je ne sais pas où ça commence ni où ça finit. De la même manière que j'ai du mal à définir la culture québécoise, tant elle est métissée (le sirop d'érable, c'est amérindien; la gigue est irlandaise; la langue est française; mais le couscous que je mange plus souvent que le pâté chinois vient d'Afrique et mon jus d'orange de Floride; mon cinéma est trop souvent américain et les auteurs qui m'influencent sont dans plusieurs cas sud-américains; ma bière est de souche, mais d'inspiration belge), j'aurais du mal à tracer une ligne précise entre deux cultures sans me sentir réducteur.

C'est peut-être parce que je suis Blanc après tout...

Creuser la question de l'appropriation culturelle, il me semble, revient d'abord à définir ce qu'est la culture. Ensuite, il faudrait définir ce qu'est la propriété culturelle. Après on pourrait jaser.

Voici ce qu'en dit l'UNESCO:

Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels , matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »1. Ce « réservoir commun » évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en de multiples manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer en société2. 

C'est plutôt large et englobant, il faut l'avouer.

Mais j'aime bien la fin de la définition "Ce "réservoir commun" évolue dans le temps par et dans les formes des échanges".

Mais encore là, j'essaie de voir comme Elvis a vu le jour, comment le Gospel est né, comment s'est développé la langue créole et la culture canadienne-française... Dans certains cas, l'échange est un emprunt, dans d'autres, un don. Parfois, la réaction à ce qu'on s'est vu imposer. Bref, la forme des échanges semble pour le moins variable. Et bien souvent discutable.

Et peut-on revendiquer la propriété d'une culture? J'ai du mal à voir comment!

Surtout qu le concept même de propriété culturelle semble absent des Internet, sauf dans le champ juridique lié à la passation des oeuvres d'art.

Difficile, donc, de réclamer la propriété intangible de ce qui n'appartient à personne!

En revanche, on ne peut nier ce que des groupes ont fait et font subir à d'autres groupes. Les cas de l'esclavage en Amérique, des pensionnats autochtones et de l'Holocauste sont plus que probants. Mais est-ce pour autant raciste que d'en parler si on n'en a pas été? Leur compréhension est-elle hors de portée si on n'en a pas été?

Il y a, à mon sens, un piège ici. Un point de bascule où on risque de sombrer dans la ghettoïsation de la pensée et dans la réduction de ce qu'est la culture-même. Mais, encore une fois, je ne sais pas où me positionner ni même si je dois me positionner.

Et, surtout, je réalise qu'on tient ici un sujet de maîtrise ou de doctorat.

Les prochains projets

Depuis le début de ma carrière d'auteur, j'ai souvent utilisé des réalités autres que la mienne pour mettre en scène mes histoires. Si je me suis chaque fois questionné sur ce sujet, jamais je n'ai perçu que c'était mal ou que j'étais dans l'erreur de le faire.

Mes romans m'ont fait rencontrer des classes d'élèves de tous âges et je ne me suis défilé devant aucune de leurs questions. Jamais on m'a fait sentir que j'avais commis un impair.

En revanche, plusieurs des lecteurs de Qu'est-ce qui fait courir Mamadi? m'ont demandé d'écrire la suite ou de leur expliquer le sort d'une des personnages (si vous l'avez lu,vous saurez laquelle). Il m'a fallu plus de 5 ans et, enfin, j'ai trouvé comment répondre à leurs questions. Et je me suis mis au travail.

Puis il y a eu Slav.

Et j'ai douté. Beaucoup. J'ai pensé demander conseil à mon éditrice, qui attend le livre avec impatience.

Mais je me dis que parler d'enfance et de filles-mères, c'était universel. Peu importe le pays ou l'ethnie qui sert de décor.

Le lectorat l'attend.

Il est prêt pour ça.

Et moi aussi.

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