Un matin du printemps 2015, au
lendemain de la divulgation du rapport de la commission de Vérité et
réconciliation sur les pensionnats autochtones, une exaction organisée par le
gouvernement canadien et qui a duré pendant un siècle, j’ai reçu un message de
mon éditrice. Elle voulait que j’écrive un roman sur le sujet. En effet, au
cours de cette période, ce sont 150 000 enfants qui ont été arrachés — avec une
violence plus ou moins féroce — à leur famille. Les conséquences de cette politique,
les Amérindiens les subissent encore de nos jours.
Il s’agit d’un sujet délicat pour
lequel il serait facile de tomber dans le sensationnalisme, panneau où d’autres
auteurs sont déjà tombés, d’ailleurs. Or, le sensationnalisme nourrit les
clichés et je déteste les clichés; je préfère de loin les nuances.
J’ai d’abord refusé. Je ne voyais
pas comment traiter ce sujet sans sombrer dans l’apitoiement ou les
accusations.
Mais j’ai promis d’y réfléchir.
Je l’ai dit dans quelques billets
et je le répète, le sujet qui m’interpelle dans l’écriture, c’est l’être
humain. Je n’écris pas simplement pour divertir (notez bien que j’essaie tout
de même d’être divertissant!), je le fais pour vivre et faire vivre une
expérience humaine. Et je ne suis pas dans l’aveuglement de la bonté des humains
ni dans la croyance de leur méchanceté. Le manichéisme, très peu pour moi. Je
vois de l’humanité même dans les plus atroces injustices et il y a de la crasse
partout où il y a de l’hommerie, j’en suis bien conscient. Nous sommes
capables, en tant qu’espèce, du meilleur comme du pire, notre planète se charge
bien de nous le rappeler.
Mais comment montrer l’humanité
du bourreau sans pour autant en faire l’apologie? Ou mieux encore :
comment le faire sans excuser l’exaction commise?
Voilà tout le travail qui me
préoccupait durant ma réflexion.
J’ai fini par trouver l’angle,
une image toute simple, mais lourde d’évocation, qui me permettrait d’éviter le
larmoiement, la pitié, de pointer du doigt.
Dans mon histoire, les bourreaux
ont le sourire. Mes gentils ont leurs torts. Tous font des victimes à cause d’une
situation que ni les uns ni les autres ne contrôlent. Des méchants de bonne
foi, des gentils qui trahissent par naïveté ou par sens du devoir... Il me
fallait marcher sur un fil tendu et, à la manière du funambule, ne fléchir ni d’un
côté ni de l’autre.
La difficulté était grande. J’étais
sans cesse confronté au choix des mots et de l’angle à prendre pour traiter des
situations que je mettais en scène. C’est sans aucun doute l’aspect que je
préfère dans mon travail, mais c’est également ce qu’il a de plus éreintant.
Trouver la façon d’attaquer, de produire l’effet escompté en mesurant les
silences, en ajustant la longueur d’une phrase, en produisant des images. Ça
ralentit le rythme de rédaction, ça augmente l’angoisse liée à l’écriture, ça
force l’empathie, ça ébranle et ça demande qu’on se maintienne en équilibre sur
le fil narratif qu’on a pris soin de tendre entre le sujet et le lecteur.
Aujourd’hui, Niska a pris son envol. Malgré une visibilité mitigée, il s’est
hissé en tête du palmarès des ventes des Éditions du soleil de minuit et je
reçois des commentaires de lecteurs qui me donnent raison de ne pas avoir suivi
ma première idée. Même si les critiques sont rares, elles sont toutes
élogieuses. Bref, ce livre trouve un peu plus de légitimité chaque jour et il
remplit son auteur de fierté.