Quand Mamadi est entré dans ma vie,
j’avais vingt ans et je suivais un cours sur les contes à l’université. Ça t’étonne?
Eh bien oui! Les contes aussi ça s’étudie, surtout quand, comme moi, on adore
ça. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite,
il faut dire qu’il s’était fait discret. Mais tout de même, il a pris le temps
de me faire comprendre qu’un jour j’écrirais son histoire.
Puis je l’ai oublié.
Mais il est réapparu un matin sans
que je m’y attende. C’était quatre, peut-être cinq ans plus tard. J’étais devenu
professeur de français et, accoudé près de la machine à café dans le salon des
enseignants, je discutais avec un nouveau collègue. Cet homme vivait au Québec
depuis peu de temps et j’avais envie de le connaître, savoir d’où il tenait son
accent, ce genre de choses, tu vois? Mamadi s’est installé entre mon
interlocuteur et moi et a tendu l’oreille attentivement. Il a écouté l’aventure
de mon nouvel ami et a appris en même temps que moi que cet homme souriant avait
vécu une guerre civile et avait séjourné dans des camps de réfugiés avant d’arriver
ici. Des épreuves qui, aussi difficiles soient-elles, n’avaient pas réussi à lui
ôter son sourire. Mamadi m’a regardé et m’a fait comprendre que, cette
histoire, c’était un peu aussi la sienne. J’ai promis de l’écrire.
Malheureusement, j’étais déjà occupé
à d’autres projets et, avec le travail, mes deux enfants, les chats… Ce n’est
pas que je négligeais de tenir ma parole, c’est juste que parfois, le temps manque.
Il est revenu un jour où j’étais
moins occupé et m’a rappelé la promesse que j’avais faite. Je venais d’apprendre
qu’une famille amie de la mienne traversait une épreuve des plus tragiques, un
véritable cauchemar. Mais ils avaient toujours ce petit quelque chose qui
brille au fond de l’œil, cet éclat qui fait comprendre que demain est un
trésor. Et Mamadi était là. J’ai compris que cette histoire aussi était un peu
la sienne.
Ça m’a touché.
J’ai réagi comme le font les
écrivains : j’ai saisi mon crayon et je me suis mis à l’écrire, sa vie. J’ai
noté son courage, sa force, mais surtout son sourire et sa joie de vivre qui
semblaient inépuisables et je lui ai demandé : « qu’est-ce qui te
fait courir, mon petit bonhomme? » Il n’a pas répondu. Il s’est contenté
de sourire et m’a renvoyé à mon ouvrage.