Le conte est un genre littéraire à deux visées :
divertir et instruire. Il s’agit là de deux objectifs jumeaux qui s’équivalent
dans les contes traditionnels, mais dont le premier tend à supplanter le second
dans ce qui se publie aujourd’hui dans les maisons d’édition pour la jeunesse.
Dommage.
Dommage, parce qu’on rompt avec la tradition, une tradition
qui remonte aux origines mêmes de l’humanité et qui est aussi humaine que la
stature debout et la main préhensible. Avec le conte naît la compréhension du
monde et la transmission des savoirs, et il en demeurera le seul gardien jusqu’à
l’avènement de l’écriture. Les contes ont, de tout temps, fait réfléchir et
discuter, ils ont abordé les sujets les plus édifiants, mais également les plus
tabous, jusqu’au jour où quelqu’un a décidé que le petit Chaperon rouge serait
retiré in extremis des entrailles du loup éviscéré. Dès lors, finie la
tragédie de l’enfance violée, exit les thèmes de la pédophilie et de la
prédation. Charles Perrault, ou ce qui en reste, n’a pas fini de se retourner
dans sa tombe!
Divertir, c’est rassurant comme la présence des parents et
réconfortant comme une tasse bouillon Lipton.
C’est sexy.
C’est bien.
Or, le bien est aux antipodes de la pensée (ce n’est pas moi
qui le dis, c’est le philosophe français Georges Bataille!), car le bien, si on
fait abstraction des conventions religieuses, se définit par ce qui conforte
les valeurs conformes aux normes de la société. Aller à l’encontre de ces dernières,
c’est mal. Remettre en question, discuter, bref, réfléchir, c’est mal.
La publicité, les émissions de variété, la téléréalité, même
la plupart des bulletins de nouvelles sont vus comme des outils de
divertissement consensuels. Qu’ils disent n’importe quoi ou qu’ils se targuent
de parler des vraies affaires, ils s’adressent à la masse dans les mots de la
masse pour lui dire ce qu’elle veut bien entendre, la masse. Ils sombrent dans
la complaisance stérile. C’est bon avant le dodo, ça vide la tête et… ça
rassure.
Mais ça n’avance à rien.
Et dans ce monde du prêt à porter, du prêt à bouffer, du prêt
à penser, quelle est la place de la littérature qu’elle soit de jeunesse ou non?
La question mérite d’être posée et c’est ce que fait Georges
Batailles dans son essai « La littérature et le mal » pour conclure
que la littérature, la vraie, doit prendre la part du mal (c’est-à-dire de la
remise en question, de l’inconfort, de l’envers de la médaille), elle doit
émouvoir, troubler, ébranler. Réveiller plutôt qu’endormir. Faire voir au-delà du
décor, porter la réflexion plus loin.
Il y a du plaisir là-dedans.
Il y a là une démarche profondément humaine et essentielle à
l’avancée de l’humanité. Il y a là matière à réfléchir. Et si on ne s’affaire
pas à montrer aux enfants à réfléchir à leur propre humanité, qui s’en
chargera?
Il y a là des contes à faire. Des drôles et des profonds
aussi.
L’histoire est triste? Ça existe, la tristesse, mon amour,
tu veux qu’on en parle?
L’histoire finit mal? Parfait! Tu veux bien qu’on en jase? Un
conte n’en est pas un si, une fois le livre refermé, on n’a pas envie d’ouvrir
la bouche pour en discuter.